Depuis 2014, la gouvernance de l’Office de Tourisme de Megève a changé à quatre reprises. Les erreurs de gestion au sein de la structure ont coûté 800 000 € en 2019. De quoi financer deux festivals de Jazz…
Acte 1 – La Municipalisation
L’idée était louable. Municipaliser l’Office de Tourisme de Megève, laquelle, jusqu’en 2014, était un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) largement subventionné par la Mairie. La Municipalisation devient la priorité numéro un des élus récemment arrivés au pouvoir, ces derniers souhaitant avoir un droit de regard sur les quelques 5 millions d’euros gérés par la structure chaque année.
Le grand ménage commence. La directrice de l’Office de Tourisme de l’époque, Marithé Crozet, est rapidement mise sur la touche. Un groupe d’élus, menés par l’Adjoint aux Finances et au Tourisme, Frédéric Goujat, prend les rênes… Ces derniers, sans doute pleins de bonne volonté, ne sont hélas pas des professionnels du tourisme. Ni de la gestion d’équipe. La moitié des effectifs démissionne, ou est poussé vers la sortie. L’arme fatale : les contrats de travail de droit privé sont transformés en contrat publics. Les salaires sont moins intéressants, et les possibilités d’évolution très faibles.
Acte 2 – Touristico-Politique
Pendant un an, il n’y a plus de capitaine à bord. Les élus en charge du tourisme estiment qu’il n’est pas nécessaire de recruter un nouveau directeur. Mais eux-mêmes n’ont ni le temps, ni sans doute, les compétences, pour mener à bien une véritable stratégie touristique ou poursuivre les actions engagées précédemment. Le personnel qui a survécu à la municipalisation fait avancer les dossiers tant bien que mal. Puis en 2016, le Conseil municipal se résout à recruter un nouveau directeur. Ce sera Christian Douchement.
Acte 3 – Re-destruction
Après une carrière dans diverses stations balnéaires, un passage à la Compagnie des Alpes, et quelques années à Villars-de-Lans dans le Vercors, il arrive à Megève en septembre 2016… Christian Douchement remonte une équipe et met l’accent sur la communication digitale et la commercialisation. En 2 ans, il fait passer le chiffre d’affaires du Pôle Commercialisation de 400 000 à 1 million d’euros. Il sera aussi le créateur de Toquicimes, événement d’automne dédié à la gastronomie. Mais les relations avec les élus se dégradent. En septembre 2018, un poste se libère à la région Rhône-Alpes. Il saute sur l’occasion et part à Lyon. Son équipe est limogée : plus de directeur commercial, plus de responsable marketing, la politique de communication touristique dépend désormais du cabinet du maire. Les personnes en charge de la comptabilité ont été remerciées ou ont donné leur démission. Profitant de ce deuxième grand nettoyage, deux adjoints au Maire font recruter des proches, accentuant la défiance au sein des équipes.
Acte 4 – Nouvelle ère
S’en suivent 6 mois de calme relatif. L’Office de Tourisme vient de vivre un second limogeage de masse en 3 ans. Le personnel restant expédie les affaires courantes. En février 2019, Hélène Madec, ancienne responsable commerciale de Méribel, arrive à la Maison des Frères. Et elle n’a pas la tâche facile. Le service commercial est exsangue, le site internet Megeve.com est toujours dans les cartons, la communication est totalement paralysée. Durant l’été 2019, une nouvelle vague de recrutements est lancée. Mais les départs continuent : 4 autres personnes démissionnent. De l’équipe pré-2014 et de celle de Christian Douchement, il ne reste quasiment personne.
Acte 5 – Le coût pour la collectivité
Le départ du directeur commercial, dont le poste n’est pas remplacé, puis quelques mois plus tard de sa numéro 2, se traduit en 2019 par 600 000 € de perte sèche.
Au printemps 2019, commence le dépeçage du Pôle Partenariats Locaux. La cotisation d’environ 450 € payée chaque année par les professionnels de la station pour devenir “partenaire” de l’Office est annulée. Manque à gagner : environ 190 000 €. Un cadeau pré-électoral ?
Un marché public est lancé dans le même temps pour commercialiser tous les espaces publicitaires physiques et digitaux de la commune. Aucun compte-rendu de Conseil municipal ne fait état de l’attribution du marché à un quelconque prestataire. Ce qui veut dire que le dossier est toujours en suspend.
Manque à gagner potentiel : 180 000 €.
Enfin, la principale force d’une entreprise, ce sont les hommes. Des employés engagés et motivés deviennent les premiers ambassadeurs d’une marque. La valse du personnel à l’Office de Tourisme, qui plus est au sein de l’équipe chargée de vendre la destination, est dramatique pour l’image de Megève. Mais comment évaluer la perte de productivité des agents due à une démotivation générale et à une passation des dossiers inexistante entre les employés sortants et entrants ? Nous ne nous risquerons pas, ici, à avancer un quelconque chiffre.
Et le futur ?
Quelque soit le résultat des élections municipales du 15 mars, il est fort probable que l’Office de Tourisme de Megève connaisse un nouveau remaniement. Si l’équipe actuelle est réélue, il faudra qu’elle tire les leçons de 6 ans d’ingérence politique dans la stratégie touristique, avec le bilan humain et financier que nous venons d’exposer. Si l’équipe de Marc Béchet est aux commandes, tout risque de changer également. Lui-même ancien directeur d’Office de Tourisme, qui plus est à Megève, il a dans son équipe deux de ses successeurs : Adrien Duvillard et Marithé Crozet. Megève Tourisme va donc devoir attendre quelques mois avant de retrouver, peut-être, la sérénité.
Droit de Réponse de Frédéric Goujat – Adjoint au Tourisme
Madame,
Par votre article du 05 mars, vous vous inquiétez de l’avenir de Megève Tourisme et nous vous en remercions.
Votre intérêt pour le développement touristique et l’activité économique de notre village converge avec le nôtre.
Tout d’abord, vous évoquez des évolutions dans la gouvernance de l’Office de Tourisme au cours des six dernières années.
Et vous avez raison. A cette précision près, qu’il n’y en a eu qu’une seule : quand, d’un EPIC, l’office de tourisme est devenu un SPIC en 2015.
Si deux directeurs se succèdent alors à la tête de Megève Tourisme, la gouvernance est restée la même depuis : Madame Le Maire comme autorité représentant la collectivité, l’Adjoint au Tourisme comme Président du SPIC, le Conseil Municipal comme organe de décision et le Conseil d’Exploitation comme avis consultatif.
En changeant le statut de son office de tourisme, l’équipe municipale de l’époque, et qui officie encore actuellement, a bien fait des questions touristiques l’une de ses priorités.
Au cœur de ses préoccupations : la meilleure maitrise des deniers publics en effet, mais aussi l’optimisation des missions par la mutualisation des services ainsi que l’anticipation des prérogatives de la loi NOTRE !
Pour rappel : en intégrant l’office de tourisme à la collectivité, les élus ont fait le choix – stratégique et salutaire pour le village nous semble-t-il – de ne pas laisser transférer la compétence touristique à l’intercommunalité.
Sur l’aspect budgétaire, le titre de votre article suggère que Megève Tourisme aurait perdu 800 000 € en 2019, conséquence d’éventuelles erreurs de gestion au cours de ces dernières années.
Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2019, les recettes de Megève Tourisme étaient de 1,9 millions d’euros, contre 2,1 million en 2018, 1,6 million en 2017, 1,0 million en 2016 (et 400 000 € deux ans auparavant comme vous l’évoquez).
Soit une augmentation des recettes de 85 % en l’espace de 4 ans (et de 500 % en 6 ans).
L’écart que vous semblez mentionner tient en fait à la différence entre les recettes inscrites au budget et celles effectivement réalisées en fin d’exercice.
En effet, l’objectif du volume d’affaire ayant été de 2,3 millions, ce sont 400 000 € qui n’ont pas été réalisés en 2019 … avec pour conclusion que l’objectif était sans doute trop ambitieux, surtout au regard des recettes enregistrées sur les exercices précédents.
Mais là encore, une partie de l’explication est clairement identifiable : dans un souci de cohérence budgétaire, une partie des recettes du service commercial de Megève Tourisme a été fléchée sur celles du Palais en 2019.
A la lueur de ces chiffres on retient donc bien que l’intention initiale des élus a parfaitement été mise en œuvre.
Et elle continue de l’être avec des recrutements au sein de l’équipe commerciale pour permettre le renforcement des activités séminaires et tourisme sportif !
Si l’équilibre des budgets restent notre absolue priorité, des arbitrages se doivent toutefois d’être faits dans un souci de service rendu au territoire.
C’est dans ce cadre que la refonte du partenariat a vu le jour pour 2020. Nous y perdons certes des recettes, mais nous y gagnons en synergie et en inclusion, l’idée force étant de réussir à fédérer tous les acteurs de la destination au service de l’expérience client et donc de la performance économique du village. Par ailleurs, en ce qui concerne l’appel d’offre de la régie publicitaire, dernier point budgétaire de votre article, nous avons finalement fait le choix de conserver cette compétence en interne pour l’heure. Là-encore avec un résultat des plus satisfaisants grâce à des recettes 2019 également en hausse.
Concernant les équipes, sur les 31 postes permanents de l’office de tourisme, 11 agents ont été embauchés avant 2015 et 13 agents avant 2019.
Ces chiffres ne semblent donc pas appuyer ce « limogeage de masse » que vous évoquez et contredisent le fait qu’il ne reste quasiment personne de l’équipe pré-2014 ni de celle de Christian Douchement.
En revanche, des recrutements et des remplacements ont en effet eu lieu en 2019.
Ils sont le jeu de toute entreprise souhaitant répondre favorablement aux aspirations de mobilité géographique ou professionnelle de ses agents.
Ils sont également dû au déploiement de nouvelles missions par l’office de tourisme en accord avec la stratégie et le plan d’action 2019/2022 proposés par la nouvelle directrice de l’office de tourisme à son arrivée.
« Des employés engagés et motivés deviennent les premiers ambassadeurs d’une marque ».
C’est parce que nous sommes, tout comme vous, convaincus de cela, que nous donnons, à compétences égales, la priorité aux habitants de notre territoire lors des recrutements.
C’est aussi le rôle de la collectivité selon nous que d’aider, par l’emploi, au maintien de la population et des jeunes sur le village.
C’est ainsi que nombreux sont les mégevans et les mégevannes dans notre équipe. Et ce, en dépit de certains liens entre les candidats et les élus, scénario inéluctable à l’échelle d’un village de quelques 3000 habitants.
Vous en êtes d’ailleurs le parfait exemple : vous êtes recrutée en 2017 à l’office de tourisme alors que votre mère siège déjà au conseil municipal.
Pour conclure, nous comprenons que vous ne soyez pas en parfait accord avec les orientations prises par l’équipe municipale actuelle. Nous entendons surtout vos inquiétudes.
Mais nous tenons à vous rassurer sur le bon fonctionnement de notre office de tourisme.
Plusieurs projets et réalisations ont vu le jour en six ans et continuent de fleurir.
A titre d’exemple et tout récemment encore : le déploiement de la plateforme de marque, l’obtention du label Flocon Vert, la mise en œuvre de la démarche Esprit Famille, la lancement du cycle de relation client, l’excellent taux de satisfaction mesuré sur nos événements, les très nombreuses parutions presse cet hiver, l’augmentation de notre base de fans sur nos réseaux sociaux, le renforcement de notre notoriété en France et à l’International, l’optimisation de notre présence digitale, le passage en comptabilité analytique pour notre budget …
Et pour preuves ultimes : l’obtention en octobre 2019 de notre certification Qualité Tourisme ainsi que l’exceptionnelle fréquentation touristique de cet hiver !
D’autres projets – nombreux – sont par ailleurs en cours, comme cela vous l’a été présenté à la dernière réunion station du 03 décembre 2019.
Ayez donc bien, Madame, la certitude que les compétences, l’implication et l’envie ont toujours été là à Megève Tourisme.
La dynamique est résolument bien en place pour aider Megève à faire face aux enjeux touristiques du 21ème siècle et à exceller dans le top des destinations mondiales tout en restant au service absolu du village et de sa population.
L’équipe de Megève Tourisme et les élus restent plus que jamais sereins et motivés en ce sens !
Cordialement.
Frédéric Goujat, Adjoint au Tourisme à Megève
Commentaire de Megeva.fr : cette réponse détaillée est cependant incomplète, notamment sur les recrutements, car M. Goujat omet de parler de tous les départs plus ou moins volontaires de l’office, et surtout de leur statut : essentiellement des managers. Les recrutements qu’il avance ne se cumulent d’ailleurs pas.
Le recrutement de personnes du coin est une disposition excellente, si ces personnes ont les compétences nécessaires. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Enfin, sur la comptabilité, les chiffres avancés sont invérifiables, car la comptabilité du SPIC Tourisme n’est pas publique. Si le document est fourni, il sera mis à disposition des lecteurs.
NDLR : Par souci de transparence, l’auteur de ces lignes confesse qu’elle-même a été employée au sein du Pôle Communication de Megève entre Octobre 2017 et Octobre 2018.
Correction 5/03/2020 à 20h : L’Office de Tourisme était avant la Municipalisation un EPIC, et non une association.