Cécile Muffat Méridol, la fille de Dominique Muffat Méridol, s’exprime pour la première fois après le massacre des Bisons de la Sasse le 19 juillet 2019. Elle réagit à l’interview de Catherine Jullien Brèches, maire de Megève, parue dernièrement sur un site internet concurrent.
Pourquoi prendre la parole aujourd’hui ?
Après l’abattage des bisons, le 19 juillet 2019, mon père, ma soeur Mélina et moi-même, avions décidé que notre tragédie ne devait pas servir des desseins politiques mais une cause universelle. C’est pourquoi nous avons lancé un groupe Facebook. Le 11 février 2020, à notre grande surprise, nous découvrons une interview de Catherine Jullien-Brèches dans Megève People, et dans Lyon People ! Cette dernière clame qu’elle n’a rien pu faire pour éviter la tuerie. Ce qui est faux. Le texte a ensuite été distribué à tous les mègevans, avec son programme électoral. Ce qui suppose, vu les délais d’impression et de distribution, que cette prise de parole était calculée.
Nous n’avons pas été sollicités par Megève People pour apporter notre version des faits. Pourtant, nous avions contacté le média à plusieurs reprises pour relayer la création de notre page Facebook. Les rédacteurs en chef n’ont jamais daigné nous répondre.
Ne trouvez-vous pas étonnant qu’à 4 semaines du 1er tour des élections municipales, après 7 mois de silence, et alors que les mègevans ont une très mauvaise image de son rôle dans cette histoire, Catherine Jullien Brèches prenne enfin la parole pour se justifier ?
Nous refusons que les bisons soient instrumentalisés. Il est nécessaire de faire le point, une fois pour toute, sur cette affaire.
Les bisons s’étaient-ils déjà échappés de La Sasse ?
Oui, nous l’avions indiqué, en 25 ans, le troupeau a franchi les clôtures à trois reprises. Par deux fois, les animaux ont été rabattus vers La Sasse en hélicoptère. La 3e fois, ils étaient rentrés seuls au bout de quelques jours.
Le 17 juillet 2019, les bisons s’échappent…
Dominique Muffat Méridol, mon père, est informé par un ami que les bisons sont sortis du parc et qu’ils se trouveraient au mont Joly, puis vers la ferme de la Fozde. Il appelle les pompiers. Une dizaine d’entre eux arrivent et, ensemble, ils tentent de rabattre le troupeau vers le village du Planay. C’est un échec. Les bisons ne veulent en aucun cas s’aventurer vers une zone urbaine, ils s’enfuient vers le haut, vers la nature.
De retour au Planay, Sarah Chelpi, commandante du PGHM, est sur place. Cette dernière est inquiète, évoque des pressions de sa hiérarchie, reproche à mon père de mobiliser le temps des pompiers, qui plus est dans une période de forte affluence touristique. L’abattage des animaux est évoqué pour la première fois. La commandante demande à mon père de s’engager sur un délai pour rapatrier les bêtes vers le domaine de la Sasse. Ce dernier lui répond qu’il lui est impossible de faire une quelconque promesse. Elle lui demande ensuite combien de personnes seraient nécessaires pour ramener le troupeau chez lui. Mon père parle d’une trentaine d’hommes au minimum. (Voir Point 11 ).
Que se passe-t-il le 18 juillet ?
Je rejoins mon père en milieu de matinée. Il vient d’effectuer un vol en hélicoptère avec Pascal Brun et de localiser les bisons.
Les renforts arrivent. Au lieu des 30 personnes escomptées, seule une dizaine se présente. La plupart connaissent mal le secteur. Le louvetier Franck Baz prend en charge l’opération de rabattage et distribue les ordres pour tenter de ramener les bêtes vers les prés d’Hermance, puis vers le col du Christ. C’est un nouvel échec. Sur le trajet, se trouve une forêt. Les bisons s’y engouffrent. Impossible de les faire sortir. À 15h30, l’opération est stoppée. Mon père est convoqué à la mairie pour assister à une cellule de crise. Je l’accompagne.
Qui vous accueille à la mairie ?
Madame le Maire, Catherine Jullien-Brèches, nous reçoit dans son bureau, avec son Premier Adjoint, Christophe Bougault, le Colonel Marsol, la commandante Sarah Chelpi, le Directeur Général des Services, Benoît Ravix. Et Aurélie Lebourgeois, cheffe du cabinet du préfet de Haute-Savoie. D’ailleurs, qui l’a prévenue ?
Éclairez-nous sur le statut du bison…
Depuis plusieurs années, mon père se bat pour que l’État se prononce sur le statut des Bisons de la Sasse. La justice s’est penchée sur la question à huit reprises.
Certains jugements, dont celui du Tribunal Administratif de Grenoble, estiment que les bisons sont des animaux domestiques, donc aussi inoffensifs qu’un troupeau de vaches. La préfecture de Haute-Savoie insiste pour qu’ils soient reconnus comme tels.
La Cour Correctionnelle, qui s’est déplacée à La Sasse en 2009, a pour sa part établi que notre élevage était constitué d’animaux sauvages. Enfin, le Conseil d’État, qui a lui aussi été consulté, a refusé de trancher.
Avant de commencer les discussions, mon père demande aux membres de la cellule de crise de s’exprimer sur le statut des bisons. Hors de leur enclos, sont-ils sauvages ou domestiques ?
Aurélie Lebourgeois le coupe net, rétorque qu’elle n’est pas là pour répondre à cette question et lui hurle de se taire. Elle déclare qu’il s’est écoulé plus de 24h depuis l’alerte. Que tout est terminé. Qu’il faut abattre le troupeau. Nous sommes évidemment en pleine détresse émotionnelle, nous tentons de négocier plus de temps. En vain.
Un endormissement, avec rapatriement en hélicoptère, est-il envisagé ?
Oui, mais Franck Baz nous dissuade de recourir à cette stratégie car des expériences sur des bouquetins ne se seraient pas avérées concluantes. Le coût serait aussi prohibitif. Cette solution est donc rapidement écartée. Pourtant, dans les zoos, des éléphants sont endormis. Plusieurs vétérinaires nous ont confirmé la totale faisabilité d’une telle opération.
Quelle est l’attitude des élus ?
Madame le Maire est totalement prostrée et ne dit pas un mot pendant 1h30. L’ article L131-2 alinéa 8 du Code des Communes lui permet pourtant de nous accorder plus de temps afin d’organiser une opération de sauvetage. Elle ne l’a pas fait. Elle a choisi de ne pas agir.
M. Bougault s’occupe de gérer les arrêtés d’interdiction de circulation pour empêcher voitures et promeneurs d’accéder au Planay. Il ne participe que très peu au débat. M. Laurent Socquet, pourtant en charge des questions agricoles, entre et ressort par deux fois du bureau, sans s’immiscer dans la conversation, et assiste à la réunion en spectateur. Madame Lebourgeois est hors d’elle.
Nous sommes dans un état de fatigue et de stress intense. Aucune communication n’est possible. Aucun élu ne nous soutient.
Quelle décision est prise ?
La Préfecture annonce l’émission d’un arrêté avec ordre de capture des animaux, et si échec, abattage.
Nous repartons de la réunion sans ce document. À ce jour, ni mon père ni moi ne l’avons eu entre les mains.
Nous rentrons à la Sasse, démoralisés, épuisés. La nuit est courte, très courte, des dizaines de personnes nous appellent pour proposer leur aide. Un élan de solidarité est en train de naître. Nous essayons de répondre aux messages. Mais la décision n’est plus entre nos mains.
19 juillet, jour de l’abattage…
Il est 5h sur le parking du Planay. Nous espérons encore que les animaux seront épargnés. Catherine Jullien Brèches, Cristophe Bougault, Laurent Socquet, Benoît Ravix, et Sarah Chelpi sont présents. 7 tireurs, dont plusieurs lieutenants de louveterie, et notamment Franck Baz, arrivent sur place, ainsi que des policiers municipaux et plusieurs très jeunes gendarmes. Ces derniers doivent se poster sur les chemins pour empêcher toutes formes d’intrusion pendant l’opération. L’un d’eux, plus âgé que les autres, vient me voir, me demande qui je suis, et m’avoue ne pas comprendre ce qu’il fait là.
Deux amis se sont déplacés. Et je les en remercie. Manu Paget, qui a participé aux précédentes tentatives de rabattage. Et Adrien Duvillard, qui a passé plusieurs heures ces deux derniers jours à proximité du troupeau, et qui a pu constater le caractère totalement inoffensif des animaux. Son témoignage sur Facebook est éloquent et a bouleversé des milliers de personnes.
La veille, une poignée d’hommes avait été dépêchée pour tenter de ramener le troupeau vers notre domaine. Cette fois, c’est une armée qui se prépare pour l’abattre.
Mon père a apporté un totem. Il explique aux tireurs et aux gendarmes quels sont les points vitaux à atteindre s’ils se retrouvent en mauvaise posture. Il souhaitait éviter une souffrance animale inutile et d’éventuels blessés. Cette initiative sera, plus tard, retournée contre lui.
À ce moment-là, où se trouvent les bisons ?
Les Bisons, d’abord repérés sur le territoire de Saint-Gervais, s’installent finalement vers le téléski des Étudiants, donc sur le territoire de Megève.
Il est environ 7h du matin, Catherine Jullien-Brèches est visiblement en contact avec M. le Maire de Saint-Gervais. Elle n’a, à cette heure-là, toujours pas reçu l’arrêté préfectoral. Elle nous assure que rien ne se passera tant qu’elle n’aura pas le document signé par le Préfet. Encore une fois, elle aurait pu invoquer son “droit de police” pour éviter que le troupeau ne soit décimé. Elle a choisi de se taire.
Le bataillon du Préfet rejoint la zone. Contrairement à ce qui nous a été promis lors de la cellule de crise, aucune opération de capture n’est tentée. Les hommes se mettent directement en position de tir. L’abattage commence. (Voir point 13).
Avez-vous assisté à l’opération ?
Je n’ai pas eu l’autorisation d’accompagner Sarah Chelpi, la commandante du PGHM. Je suis donc partie en 4×4, puis à pied, en compagnie de Manu Paget, vers les chalets d’Hermance. Les tirs ont commencé à 8 h 48. Ils se sont terminés à 9 h 14. J’ai compté 25 coups de feu… pour 19 bisons.
J’insiste pour me rendre sur les lieux de la tragédie. La commandante Chelpi m’y autorise, mais m’interdit de prendre des photos.
Je découvre 16 bisons alignés les uns derrière les autres, disposés en quinconce, sur 30 à 40 mètres. Les trois derniers bisons, effrayés par les tirs, se sont enfuis vers la retenue colinéaire des chalets de Joux et ont été tués à cet endroit. Je les caresse un à un, et leur demande pardon.
Je n’ai pas la force d’attendre le camion d’équarrissage et je rejoins mon père, dévasté, au Planay. Puis je rentre chez moi dans un état second. 25 ans de travail ont été anéantis. C’est la fin des Bisons la Sasse.
Le 23 juillet, jour de Conseil municipal…
J’écoute la version audio du Conseil municipal. Je tiens d’ailleurs à remercier Mesdames Marie-Christine Ansanay et Sylviane Grosset-Janin, conseillères d’oppositions, pour leurs interventions.
Et là, je suis stupéfaite d’entendre Madame le Maire s’énerver, crier, et tenter de museler les personnes qui s’expriment. Moi qui la pensais muette… Elle affirme que tout est de la faute du Préfet, alors que, je le répète, elle avait le pouvoir de tout arrêter. Monsieur le Premier Adjoint prétend que le troupeau se trouvait sur Saint-Gervais. M. Socquet déclare que mon père a lui-même montré aux tireurs comment tuer ses bêtes. Personne n’assume rien… Je suis écoeurée…
Depuis, avez-vous eu des contacts, avec les élus ?
Oui, un seul, le 28 juillet 2019, Catherine Jullien-Brèches et Christophe Bougault montent à La Sasse pour parler d’un tout autre dossier, lié à la Ferme de l’Eau.
Je profite de cette occasion pour lui exprimer mon étonnement : pourquoi s’est-elle énervée lors du Conseil municipal ? Pourquoi n’a-t-elle pas montré autant de véhémence pour défendre les bisons lors de la réunion de crise du 18 juillet ?
Je m’attends à avoir une discussion ouverte. Mais elle se braque, pleure et crie qu’elle était incompétente et que tout le monde le lui reproche.
En repartant, elle jure qu’elle ne se représentera pas. Surprise… Une semaine plus tard, elle confirme sa candidature à sa réélection. Nous n’avons eu aucun contact depuis.
Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
Il est déplorable que Catherine Julien-Brèches utilise cette tragédie, encore très douloureuse pour notre famille, à des fins électorales et après 7 mois de silence.
Moi-même engagée dans une liste, je regrette que les vrais sujets ne soient pas abordés. J’aurais préféré m’exprimer sur les problèmes de logements à Megève ou le départ de la population locale.
Je tiens aussi à remercier toutes les personnes qui nous soutiennent, en lisant chaque semaine, depuis le 21 juillet, chacune de nos publications sur la page Bisons de la Sasse, Pour une Cause Universelle. Nous racontons quels sont les efforts et le travail réalisés par mon père pour implanter ces animaux extraordinaires dans cette combe du mont Joly. Nous ne nous attendions pas à cet élan populaire. Si peu de mègevans sont montés au domaine en 25 ans d’activité.
Le retour des Bisons à La Sasse est-il envisageable ?
Nous caressons évidemment ce projet, mais il faudra que son statut, animal sauvage ou animal domestique, soit clairement défini. C’est la condition essentielle pour le retour des Bisons de la Sasse.
Lire aussi : Bisons de la Sasse, le coût d’un bad buzz.
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