Édifié entre 1840 et 1863 sur les pentes du mont d’Arbois, le calvaire de Megève regroupe 15 chapelles et oratoires ainsi qu’une trentaine de statues en bois polychrome, dont certaines grandeur nature. L’ensemble est inscrit depuis 1988 à l’inventaire des monuments historiques, et a bénéficié d’une restauration entre 2001 et 2011. Sur le sentier du calvaire, chaque pas mène vers le sacré.
1er Août 1852. 5 000 personnes se pressent à Mezdive, bourgade de 1 700 âmes. Des pèlerins viennent des deux Savoie prier à Notre-Dame-des-Vertus. Deux ans plus tôt, la chapelle a reçu du Pape Pie IX, les indulgences de la Portioncule qui permettent aux croyants de racheter les fautes de leurs proches et de leur garantir l’accès au Paradis. Un privilège décroché par le curé Ambroise Martin, prêtre à Megève depuis 1820. Sa mission : créer une Jérusalem savoyarde. Pour Édouard Apertet, Guide du Patrimoine, « Les Mègevans ont ouvert leurs granges pour accueillir les voyageurs, ont commencé à vendre leurs produits, pains, fromages, jambons… La tradition d’hospitalité et d’accueil était déjà très forte lorsque le tourisme hivernal s’est développé, à partir des années 1920, sous l’impulsion de la baronne Noémie de Rothschild. »
Prêtre bâtisseur
C’est lors d’un voyage, en 1834, à Varallo dans le piémont italien, qu’Ambroise Martin a une révélation. Il découvre le Sacro-Monte : 800 statues à taille humaine, qui racontent la vie, la passion, la mort et la résurrection du Christ. Germe alors l’idée d’édifier un calvaire à Megève. Il faut d’abord trouver un site : la ferme Pallaz d’Ava avec ses 6 hectares en pente douce sur les contreforts du mont d’Arbois rappelle la topographie du mont Golgotha. Il l’acquiert en 1840.
Le chantier démarre. Dès 1843, trois grandes croix de chêne sont érigées. Elles sont visibles, dit-on, dans toute la vallée, et même depuis Sallanches. Les mègevans sont désormais surnommés les « Pilates », autrement dit, « ceux qui ont crucifié Jésus. »
L’œuvre d’un homme… et de tout un village
L’enthousiasme du dynamique homme d’église est contagieux : tous les habitants participent à la construction du calvaire, dans la mesure de leurs moyens. Les plus fortunés font des dons. La famille Feige, qui accorde les pianos à Lyon, financera par exemple des tableaux.
Les plus modestes donnent de leur temps. Car depuis 20 ans, le curé se démène pour améliorer leur existence et leur donner une éducation. N’est-ce pas lui qui a fait venir les sœurs de Saint-Joseph et les Frères des écoles chrétiennes, et qui a ouvert des écoles pour les garçons comme pour les filles ?
Le curé Rouge de Saint-Sigismond sur Cluses est le principal architecte des chapelles, et joue avec des « des éléments romans, gothiques, baroques, aucun édifice ne ressemble à un autre » indique notre guide.
Les statues sont signées Carlos Pedrini, brillant sculpteur italien, et Joseph Prosper Socquet Juglard, « un artiste mègevan tombé dans l’indigence à Paris et sauvé de la rue par le curé Martin. » Les travaux avancent doucement, à mesure que les dons arrivent…
Sainte Marie
Le curé Martin est un adorateur de la Vierge. La chapelle Notre-Dame-des-Vertus sort de terre la première en 1846. « Elle a tout d’une grande » estime Édouard Apertet, « avec sa construction en voûte d’arêtes croisées d’ogives, un plafond bleu marial et un autel en marbre de carrare veiné de bleu qui provient des chutes de la collégiale de Sallanches. » La statue de la vierge repose dans un cercueil en verre, au milieu d’un Jardin des Oliviers. Douze apôtres en bois tilleul peint, et des angelots l’accompagnent vers le ciel. Juste à côté, la chapelle Notre-Dame-de-Nazareth renferme plusieurs fresques naïves sur la vie du Jésus sous un magnifique plafond orné d’étoiles d’or, ainsi que la scène du jugement du Christ.
Énigmes
Le curé Martin aime jouer avec les symboles religieux et s’ingénie à les disséminer tout au long du parcours. Une rosace formée de sept pétales colorés représentant les 7 douleurs de Marie ddécore le clocher à 7 point de la 4e station. La cloche porte le nom de Mater Dolorosa ; c’est ici que commence la Via Dolorosa… le chemin que Jésus emprunte avant sa crucifixion.
La 11e station, consacrée à la mise en croix, est surmontée d’une flèche autour de laquelle s’enroule le serpent d’airain, allégorie de la guérison. « À moins qu’il ne s’agisse du vipère* volant terrassé par Muffat et Grosset, et donc d’une allusion au mythe fondateur de Megève » sourie Édouard Apertet.
La 12e chapelle est une réplique miniature du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Sous la coupole, le mont Golgotha et une saisissante scène de crucifixion. Jésus vit ses derniers instants sur la croix. L’architecte a soigné la disposition des ouvertures : le Christ et le bon larron baignent dans la lumière, le mauvais larron, lui, reste dans l’ombre.
Pour aider le profane à lire le sacré, le curé Martin avait édité le Guide et manuel du pèlerin au calvaire érigé à Megève… Un pèlerinage, n’est-il pas une sorte de chasse au trésor ?
Article publié à l’origine dans Altus Megève 2020.
* “Vipère” volant est ici au singulier, car les anciens utilisaient le masculin pour désigner des choses malfaisantes.